Je m’appelle Mara Lafontan, j’ai 24 ans et je suis mannequin depuis bientôt 6 ans.
Tu travailles dans un milieu qui est réputé pour être difficile avec les filles. Est que tu peux nous parler d’une situation qui t'a touchée ?
C’est effectivement un environnement qui fonctionne principalement sur des qualités physiques : grande et maigre, parfaitement symétrique, muscles peu voire pas développés; voilà les critères généraux auxquelles la majorité d’entre nous doivent se conformer. J’ai moi-même subi beaucoup de pression pour rentrer dans une taille 34. J’ai entendu des phrases telles que “rappelle nous quand tu auras perdu 10 kilos”, “Mara, pour toi, pas de croissant”, on m’a même attrapé le dessous des fesses une fois pour me dire que c’était ici que je devais concentrer mes efforts de perte de poids. J’avais à l’époque 18 ans.
Nous sommes donc, aux yeux de beaucoup encore, des femmes-objets ne servant qu’à s’effacer sous un vêtement.
Les cas d’anorexie, boulimie, orthorexie et autres troubles alimentaires sont extrêmement courants dans le mannequinat et bien souvent encouragés par les acteurs de ce milieu, tant que le résultat (=maigreur) est là.
Je me souviens d’une fille qui, très malade, avait été félicitée par son agence et quelques designers pour sa “silhouette parfaite” : quelques jours auparavant, son médecin lui disait qu’elle ne survivrait pas longtemps si elle ne guérissait pas vite.
Il y a beaucoup de polémique autour de la mode, notamment autour du fait que beaucoup de vêtements féminins sont plus faits pour être beaux/sexys en ignorant le confort de la personne. Qu’est ce que t’en penses ? Pour toi, quels sont les premiers changements à faire ?
Si l’on ne se focalise que sur le prêt à porter, c’est vrai qu’il y a de tout et que la mode ne s’importune guère du confort. Même si je vois des changements, et des marques de plus en plus attentives à ces questions, il est parfois difficile de trouver des coupes et des matières qui permettent au corps de bouger et d’être bien. La raison à ceci est toute vue : le vêtement n’est pas l’ami du corps, mais l’ami des yeux, ceux des autres. Des marques clinquantes pour attester d’une appartenance sociale, des coupes sexy pour satisfaire le besoin maladif de certains hommes qui ne peuvent s’empêcher de ranger les femmes en deux catégories : “baisable” et “non-baisable”. Il ne s’agit plus vraiment, dans le cadre de la fast fashion, de faire des vêtements intelligents qui resteront dans nos armoires longtemps. Le vêtement est un objet social et politique, qui a beaucoup de choses à raconter. Le fait qu’il accompagne le corps dans ces tâches quotidiennes et le tout dernier des soucis des designers aujourd’hui.
Il est difficile de réfléchir à des changements autres qu’intérieurs. La relation à soi est le moteur de tout choix : savoir ce que l’on est prêt à imposer à son corps ou non. Se détacher des injonctions de la société et de ce mot qu’est la mode.
Quels comportements masculins/myso te soulent le plus ? Est ce que tu trouves que certaines femmes "se soumettent" à leur mec par facilité ?
Oui je pense que certaines acceptent plus facilement le patriarcat, par peur qu’on leur nuise davantage, ou bien parce qu’elles ne savent pas par où commencer. Lorsque l’on est sifflées dans la rue, j’entends des réactions de type “non mais laisse, vaut mieux faire comme si on avait rien entendu”, ceci contribuant à garder la porte grande ouverte à toutes les fantaisies de la bêtise des hommes, eux même soumis aux idéaux masculins imposés par une société très genrée. Nous sommes tous perdants.
Nombreux sont les comportements misogynes que je ne supporte pas, mais bien souvent ils sont eux même des réponses à la fragilité refoulée de certains hommes.
Ce que je supporte encore moins, cependant, c’est la soumission. Les "il faudra t’habituer si tu veux pas te rendre la vie impossible", "les hommes sont ainsi" et donc les forcer à ouvrir les yeux sur leur comportement déplacé serait une perte de temps. Je dis non. J’invite toutes mes proches à parler, à blâmer, à dénoncer, pour que les mentalités changent, de tous les côtés.
On suit de très près le parcours de Mara sur son Instagram :)
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